lundi 25 mai 2009

Hurlement 2: L'aurore des corps à terre

L'aube pluvieuse m'incite à glisser sous les arcades de la Piazza Vittorio. La pleine ombre se vide pour offrir au jour un espace...gris. Les corridors aérés de la place donnent à voir...le champ des possibles. La journée tiendra, peut-être, ses promesses.





Mais, là, sur le carrelage bariolé et vieillot, les corps endormis, bien rangés, sous les couvertures grises et épaisses me rappellent la dure et dense matérialité des choses. Le néo-réalisme me « saute à la gorge » et « me crève les yeux»; respect pour l'ordre des choses...vécues.





« Les films italiens ont toujours une valeur documentaire. Dans un monde encore et déjà obsédé par la terreur et par la haine, où la réalité n'est presque plus jamais aimée pour elle-même mais seulement refusée, défendue comme signe politique, le cinéma italien est certainement le seul qui sauve, au sein même de l'époque qu'il dépeint, un humanisme révolutionnaire. »(...) « Ils n'oublient pas qu'avant d'être condamnable le monde est, tout simplement. » écrit, en janvier 1948, André Bazin dans « Le réalisme cinématographique et l'école italienne de la libération ».Des corps dorment « à terre »: regarder mais pas conceptualiser. Ne pas réduire les vies au sol à des symptômes politiques. Prendre le « monde-document » comme il est.





Beauté cruelle, spectacle calmement grinçant, formidablement ironique de la "lotterie" ...mais "aimable", malgré tout. Malgré tous nos désirs de réforme...du monde, cela est... Et, la Piazza a encore de l'être à déballer. L'être-là du fou qui s'assoit à la table d'un café, près de toi, sans permission. Il se pose où son soliloque le mène et quand son démon se tait.



Et, au même moment, derrière, une langue très étrangère attire l'attention sur deux indiens, bengladeshis, pakistanais, ... D'où viennent-ils? Lointaine provenance, différences aplanies.Installation savante d'un stand en carton.



Piazza Vittorio, ta splendide ambiguïté: un monde au combien aimable pour lui-même que l'on aimerait, pourtant, changer. Humanisme révolutionnaire....
Assis, au Bar Dandini, je ruminais ces lignes, d'André Bazin encore dans « Voleur de bicyclette» paru dans la revue Esprit, en novembre 1949: « Son message social n'est pas dégagé, il reste immanent à l'événement, mais il est si clair que nul ne peut l'ignorer et moins encore le récuser puisqu'il n'est jamais explicité comme message. (…) Un film de propagande chercherait à nous démontrer que l'ouvrier ne peut pas retrouver son vélo et qu'il est nécessairement pris dans le cercle infernal de sa pauvreté. De Sica se borne à nous montrer que l'ouvrier peut ne pas retrouver son vélo et qu'il va sans doute à cause de cela retourner au chômage. »Le message immanent à l'oeuvre ou ...à la réalité même.

S.P.Q.R,
D.L.C.

P.S: Tous ces textes d'André Bazin sont repris dans Qu'est-ce que le cinéma?
Texte et photos: Laurent Chalard.

dimanche 17 mai 2009

Hurlement 1: Le point de départ, c'est l'arrivée





J'arrive, je crois que j'arrive. J'ai pris le train tard, très tard le soir et j'arrive ...trop tôt le matin. Je sors du compartiment...très exigu. La couchette du dessus m'étouffa presque et la largeur ridicule de la banquette m'a contraint à de pénibles retournements. Les draps de Trenitalia ressemblent plus à une hostie synthétique pour marchandises fragiles qu'aux linges qui coulissent d'une fenêtre à l'autre dans un vieux film ...italien. Ils sont à usage unique, et encore. Malgré l'ouverture de la porte du compartiment, il fait encore très chaud. Pas de stores. La lumière, toute la nuit, a zébré la couchette. Dehors, des lumières blanches à travers les gouttes de pluie sur la vitre...une gare...une gare pour l'instant comme les autres.



J'arrive d'où ? Du Sud? Du Nord ? Après une si « faible » nuit, je ne sais pas, c'est ainsi. Et puis...Ce que je sais, c'est que comme dit la sagesse populaire, populaire mais antique : « Tous les chemins mènent à Rome ». Termini, pluriel de terminus ?
Ouvrir les yeux à l'aide d'un café chaud et serré. Fort et amère comme il faut. Attendre comme les sans toits. Se frotter les yeux devant un évadé de Rembrandt échoué dans le repos de ses pensées. Attendre dans le sas de la gare, l'heure où, la clarté offre à l'immigrant, à « l'arrivant » la possibilité de trouver son chemin, de lire les plaques des rues, d'établir la correspondance avec... la carte, le plan du quartier.





Se lever, sortir. Encore quelques efforts et, comme Ricci, dans le Voleur de bicyclette, je serai tôt Piazza Vittorio.







Il est trop tôt pour que je me souvienne à quoi, dans son ensemble, elle ressemble. Les plans de De Sica sont trop serrés pour éclairer ma mémoire. Des dizaines, des centaines de pièces de vélo. Des sonnettes, des engrenages, des rouages, ...Mais, de tout ça, je pense qu'il ne reste rien. Vespas, voitures, camions, mais vélos? ... Des piliers peut-être ? Au centre, une fontaine ? Des jardins ? Comment sont ses arcades ? Si. Il me semble bien qu'il y a des arcades. Il y a fort à parier parce que... c'est une place italienne. Et l'architecture d'un pays, ça ne trompe pas, ça a des règles, ça donne une identité. Ça donne forcément une identité. Cette place, vu son nom, est forcément en accord avec l'identité. Vittorio Emanuele II. Vittorio Emanuele II, celui qui donna vie à l'appel vibrant de Machiavel à la fin du Prince, celui qui réalisa l'unification de l'Italie. Le 17 mars 1861, Vittorio Emanuele II a-t-il scellé un destin commun ou fait violence aux identités culturelles de la botte?







S.P.Q.R.,
D.L.C.
Texte et photos: Laurent Chalard