mercredi 24 juin 2009

Hurlement 6: Hétéro-phobie?

Piazza Vittorio, une "pan-topie" manifestement si hétéro-topique.

Soit, pourquoi pas, mais qu'est-ce qu'une "hétérotopie"? Ecoutons le "père" de ce concept, j'ai nommé Michel Foucault. "Ce qui m'intéresse, ce sont, parmi tous ces emplacements, certains d'entre eux qui ont la curieuse propriété d'être en rapport avec tous les autres emplacements, mais sur un mode tel qu'ils suspendent, neutralisent ou inversent l'ensemble des rapports qui se trouvent, par eux, désignés, reflétés ou réfléchis. Ces espaces, en quelque sorte, qui sont en liaison avec tous les autres, qui contredisent pourtant tous les autres emplacements, sont de deux grands types. Il y a d'abord les utopies. Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel."
Pause: Boullée ou l'utopie architecturale allaitée (ou a-léthé) aux souvenirs de l'Antiquité. Rome l'éternelle, réelle? La Piazza Vittorio, elle, une saveur concrète.


Etienne-Louis Boullée (1728-1799), Palais municipal pour la Capitale d'un Grand Empire, élévation perspective


Etienne-Louis Boullée (1728-1799), Cirque Ier projet, élévation perspective


Etienne-Louis Boullée (1728-1799),Intérieur d'un cirque 2ème projet, coupe perspective

"Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l'institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d'utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l'on peut trouver à l'intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables. Ces lieux, parce qu'ils sont absolument autres que tous les emplacements qu'ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies. "



En quoi la piazza Vittorio, ce lieu-monde, est-elle hétérotopique? Comment peut-elle l'être? Comment le tout (to pan) peut-il être différent...de lui-même? Comment la piazza Vittorio peut-elle à la fois être « image réduite mais fidèle du monde » et être « un alter-monde »? Elle est «monde» par la diversité qu'elle recèle et «anti-monde» par la pacifique coexistence qui y règne? Des civilisations...sans choc. Sans fraternité...non plus. Mais, « côte à côte » dans le double sens biblique de l'expression ("de la côte" d'Adam ou "à côté" d'Adam). Jardin de la piazza Vittorio, jardin d'Eden? Paradis, au sens persan du terme de « jardin paisible à l'abri des murs »? Incarnation de L'âge d'Or de Cranach l'ancien? Non, mais un air de famille avec "l'avant-Chute"....



Témoignage de la démarche, ici, rien de conquérant ou d'apeuré dans le pas du maghrébin musulman. Je n'entends presque plus les mots d'Huntington.



S'asseoir...se « pauser ». Trouver le repos d'être là...et ailleurs. Des blengladeshis sur des marches romaines et « chez eux » grâces aux signes-nouilles de leurs journaux.



Pourquoi les punks dialoguent-ils au lieu de tout brûler ? Les chantres du "no future" préparent-ils leurs retraites?



Comment tant de paresse et de molles siestes alors que le choc...des civilisations fait rage?!



Traitresses, les soeurs sud-américaines achètent aux bengladeshis ou aux maghrebins... Maudite générosité chrétienne, chienne de charité.



Comment l'Etat italien peut-il tolérer qu'il y ait des cours de Taî-chi sur la place publique et, pire, qu'un romain « pure souche » y participe? Le taï-chi n'est-il pas un redoutable art martial pour anéantir l'Occident?



Pourtant...pourtant....Huntington nous a prévenu...

« Dans le monde après la guerre froide, les distinctions majeures entre les peuples ne sont pas idéologiques, politiques ou économiques. Elles sont culturelles. (...) Dans le monde nouveau qui est désormais le nôtre, la politique locale est ethnique et la politique globale est civilisationnelle. La rivalité entre grandes puissances est remplacée par le choc des civilisations. (...) Le sang, la langue, la religion, la manière de vivre : voilà ce que les Grecs avaient en commun et ce qui les distinguait des Perses et des autres non-Grecs. Mais, de tous les éléments objectifs qui définissent une civilisation, le plus important est en général la religion, comme le soulignaient les Athéniens. Dans une large mesure, les principales civilisations se sont identifiées au cours de l'histoire avec les grandes religions du monde. (...) Le choc intracivilisationnel entre idées politiques incarnées par l'Occident est en train d'être supplanté par le choc intercivilisationnel des cultures et des religions. (...) En somme, la résurgence religieuse à travers le monde est une réaction à sa laïcisation, au relativisme moral et à la tolérance individuelle, et une réaffirmation des valeurs d'ordre, de discipline, de travail, d'entraide et de solidarité humaine. Les groupes religieux rencontrent les besoins sociaux laissés sans réponse par les bureaucraties étatiques. Cela recouvre les services médicaux expliquait hospitalier, les jardins d'enfants et les écoles, les soins aux personnes âgées, l'assistance en cas de catastrophe naturelle, le soutien social en cas de récession économique. La chute de l'or et de la société civile créée des vides qui sont remplies par des groupes religieux, souvent fondamentaliste. »
« Le renouveau des religions non occidentales est la manifestation la plus puissante de l'anti-occidentalisme dans les sociétés non occidentales. Ce renouveau n'est pas un rejet de la modernité ; c'est un rejet de l'Occident et de la culture laïque, relativiste, dégénérée qui est associée à l'Occident. C'est un rejet de ce qu'on a appelé « Occidentoxication» des sociétés non occidentales. C'est une déclaration d'indépendance culturelle vis-à-vis de l'Occident, une affirmation fière : « nous serons modernes, mais nous ne serons pas vous. »
"La fin de la guerre froide n'a pas fait disparaître les conflits ; elle a donné naissance à de nouvelles identités fondées sur la culture et à de nouveaux types de conflits entre groupes issus de cultures différentes qui, en dernière instance, forme de civilisation."».

Les analyses d'Huntington, des observations objectives et lucides du présent ou des prophéties auto-réalisatrices au profit d'intérêts (très) particuliers? Piazza Vittorio: l'exception qui confirme la règle ou le contre-exemple crevant "le voile d'une Mâyâ" toute géopolitique?




S.P.Q.R.,
D.L.C.
Texte et photos: Laurent Chalard.
P.S: Toutes les citations d'Huntington sont extraites du Choc des civilisations, Odile Jacob, 1997.

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